Publié le 04/03/2022

Le cinéma : une machine à propagande par le rêve

Grâce au livre Propagande, la manipulation de masse dans le monde contemporain de David Colon nous permet d'explorer une parcelle historique de la propagande dans le cinéma... Edward Bernays (1891-1994), considéré comme le père de la propagande politique et d’entreprise, écrit, en 1928 dans Propaganda, que « dans notre monde contemporain, le cinéma est à son insu la courroie de transmission la plus efficace de la propagande. Il n’a pas son pareil pour propager idées et opinions. Le cinéma a le pouvoir d’uniformiser les pensées et les habitudes de vie de toute la nation. »

Le cinéma de propagande nazie

Les nazis au pouvoir ont contribué au cinéma de propagande. Le directeur du service cinématographique au ministère de la Propagande du Troisième Reich, Fritz Hippler, déclare que le cinéma agit sur l'affect et a ainsi "un effet pénétrant et durable "sur les masses.

Dès 1934, une loi crée une censure "positive", par laquelle l'Etat nazi encourage la production de films respectueux des valeurs nationales socialistes. En 1937, les studios de l'Universum Film AG (UFA) sont nationalisés.

En réalité, sur les 1 097 longs métrages réalisés sous le Troisième Reich, un sixième seulement relève de la propagande ouvertement politique. Ces Tendenzfilme étaient surtout des histoires d'amour, des comédies, des comédies musicales ou des films dramatiques conformes aux valeurs prônées par le régime. Geobbels, chancelier et membre du ministère de l'Education du peuple et de la propagande, veille à mélanger la propagande au divertissement.

Das alte Rechte (Le Droit ancien, 1934)

Ich für dich - Du für mich (Moi pour toi, toi pour moi, 1934)


A partir de 1939, les films de propagande politique se font plus fréquents et, en 1940, une série de trois films supervisés par Goebbels, s'en prennent ouvertement aux juifs :

Les Rothschild

Le Juif Süss

Le juif éternel


Le cinéma durant la Seconde Guerre mondiale

Isolé et menacé d'une invasion nazie, le Royaume-Uni s'engage, le premier parmi les pays démocratiques, dans la propagande cinématographique de guerre.

Dès 1940, c'est le film London Can Take It,  produit au Royaume-Uni, réalisé par Humphrey Jennings et Harry Watt, scénarisé par Quentin Reynolds et distribué par Warner Brothers aux Etats-Unis, qui lance la voie à la propagande cinématographique de guerre.

Les studios d'Hollywood adoptent dès lors, dans beaucoup de leurs films, une tonalité antinazie dont l'exemple le plus célèbre est Le Dictateur, réalisé par Charlie Chaplin, dénonçant ouvertement la menace du nazisme sur le monde. 

London Can Take It

Le Dictateur


L'entrée en guerre des Etats-Unis consacre l'engagement des studios hollywoodiens au service de la propagande américaine comprenant notamment cinq réalisateurs renommés, personnellement engagés dans le conflit : Frank Capra, William Wyler, John HustonJohn Ford et George Stevens.

Pour exemple, Frank Capra, réalise sept films de soixante minutes dans le cadre d'une série intitulée Why We Fight (Pourquoi nous combattons)  : Prelude to War (1942) présente une vision antagoniste du monde opprimé et du monde libre (qui lui vaut l'Oscar du documentaire) ; The Nazis Strike (1942) raconte la prise de pouvoir d'Hitler et l'expansionnisme nazi jusqu'à la guerre ; Divide and Conquer (1943) évoque la campagne de 1940 et l'occupation d'une partie de l'Europe par les armées nazies ; The Battle of Britain (1943) dresse un portrait élogieux de l'allié soviétique ; The Battle of China (1944) dénonce l'expansionnisme japonais et célèbre la résistance chinoise ; War Comes to America (1945) donne une version idéalisée de l'histoire américaine et de l'engagement  des Etats-Unis dans le conflit.

Cette série est considérée jusqu'à nos jours comme un chef-d'oeuvre de propagande.

Le cinéma de la guerre froide

Suite à la guerre, la suprématie diplomatique et économique des Etats-Unis place l'industrie cinématographique américaine en situation d'exporter comme jamais auparavant ses productions cinématographiques, qui deviennent un instrument de diffusion des valeurs et du mode de vie américain.

Contrairement au cinéma soviétique, le cinéma américain dispose en principe d'une grande liberté de création mais celle-ci est entravée au profit d'intérêts commerciaux et d'un puissant esprit patriotique qui conduit les studios à servir la propagande de l'administration en place.

Une grande particularité du cinéma hollywoodien réside dans l'adoption par la Motion Pictures Association, dès 1934, d'un code de bonne conduite (Motion Picture Production Code, surnommé "code Hays"), inspiré de valeurs morales et patriotiques. Appliqué jusqu'en 1964, il valorise la famille et le mariage et proscrit l'adultère, la nudité, la mise en scène à caractère sexuel ainsi que toute forme d'apologie du crime et interdit de présenter un criminel ou un délinquant sous un jour favorable. 

Les cinéma des années 1950 présente ainsi le capitalisme sous un jour favorable, glorifie les valeurs américaines et dénonce,  lorsque le projet s'y prête, la menace communiste. Parmi ces films, listons :

  • I Married a Communist, de Robert Stevenson, 1949, où l'histoire se fonde sur la tentative de conversion au capitalisme.
  • The Red Menace, de Robert G. Springsteen, 1949, reposant sur un anticommunisme caricatural.
  • My Son John, de Léo McCarey, 1952, reposant sur un anticommunisme caricatural.

Les films anticommunistes se font moins fréquents et moins virulents à partir de 1962, lorsque les Etats-Unis et l'URSS s'engagent sur le voie de la détente à la suite de la crise de missiles de Cuba. La comédie Dr Strangelove or How I leared to Stop Worrying and Love the Bomb, de Stanley Kubrick, consacre en quelque sorte cette évolution, en tournant l'anticommunisme en dérision et en mettant en scène le danger que fait peser sur l'humanité la course aux armements nucléaires.

Il existe néanmoins une exception notable à cette politique d'apaisement. En 1968, John Wayne signe comme acteur principal et coréalisateur le plus grand film de propagande anticommuniste de la décennie : The Green Berets, 1968. Ce film raconte l'histoire d'une unité de Bérets verts qui se porte au secours de Sud-Vietnamiens menacés par les Viêt-Congs, et l'on y croise un journaliste sceptique qui se convertit à la cause de la guerre, et une amitié naissante entre GI et un orphelin vietnamien.

Il existe néanmoins une exception notable à cette politique d'apaisement. En 1968, John Wayne signe comme acteur principal et coréalisateur le plus grand film de propagande anticommuniste de la décennie : The Green Berets, 1968. Ce film raconte l'histoire d'une unité de Bérets verts qui se porte au secours de Sud-Vietnamiens menacés par les Viêt-Congs, et l'on y croise un journaliste sceptique qui se convertit à la cause de la guerre, et une amitié naissante entre GI et un orphelin vietnamien.

La propagande y est à ce point caricaturale que les projections du film deviennent rapidement des points de ralliement des militants opposés à la guerre.

Le cinéma de guerre froide fait moins de recette dans les années 1970 du fait de la détente entre l'Est et l'Ouest et de la fin de la guerre du Vietnam. Il connaît cependant un regain en 1985 avec la sortie de Rocky IV, dans lequel Sylvester Stalone incarne un boxeur américain confronté à un redoutable adversaire soviétique, et Rambo 2, dans lequel le même Sylvester Stalone part au Vietnam chercher des prisonniers américains les armes à la main. En 1986, c'est au tour du jeune Tom Cruise d'affronter les Soviétiques au commande d'un F4 dans le film Top Gun.

La propagande dans le dessin animé

Le dessin animé a rapidement été mis au service de la propagande, tant politique que sociale.

Sébastien Rioffat, dans son livre Propagandes animées,  explique que la "propagande animée" est art mêlant la politique à l'esthétique des images animées. Etant projetés dans les cinémas avant les longs métrages, les dessins animés sont considérés comme un simple divertissement par le public qui, par conséquent, baisse sa garde lors de leur diffusion. Le dessin animé a également le mérite pour le propagandiste de proposer des intrigues simples, souvent fondées sur des mythes, tout en faisant appel aux émotions des spectateurs incités à s'identifier à des personnages. Le pouvoir de suggestion est ainsi décuplé par les conditions dans lesquelles les dessins animés sont visionnés, notamment à une époque où le cinéma devient une distraction populaire et à la portée de tous : l'obscurité de la salle de cinéma, les sons, les couleurs, etc. en appellent aux réactions émotionnelles des spectateurs.

Dans les régimes démocratiques, Walt Disney est sans conteste le meilleur exemple de l'usage propagandiste exécuté à grande échelle des dessins animés. Créateur de Mickey Mouse, en 1928 et du premier dessin animé de long métrage avec Blanche-Neige en 1937, Walt Disney met dès 1942 ses studios au service de la guerre psychologique américaine. Il produit pour cela des oeuvres de "propagande animée" qui visent principalement à faire appel au sentiment patriotique tout en construisant une image négative de l'ennemi et par la mise en avant d'une vision positive de la société américaine.

Entre 1941 et 1945, les studios Disney, réquisitionnés par l'armée, produisent 77 courts métrages de propagande. Ils mettent principalement en scène les personnages de Donald Duck, de Dingo et Pluto.

Certaines de ces créations sont destinées à la formation des troupes, comme Stop That Tank ! (1942) commandée par le gouvernement canadien pour former les recrues au maniement d'un fusil antichar.

Stop That Tank !

D'autres sont destinés à la "gouvernance des conduites" de la population américaine dans son ensemble comme dans le film The New Spirit, réalisé en 1942, à la demande du département du Trésor américain pour promouvoir le paiement volontaire et rapide des impôts. Il met en scène un Donal Duck impatient de remplir son formulaire et de payer ses impôts pour participer à l'effort de guerre. Par la suite est décrit les effets de l'impôt sur la production d'armes de guerre.

The New Spirit

Les résultats sont probants. Le paiement des impôts en 1942 est le plus rapide jamais enregistré dans l'histoire de l'administration fiscale américaine. Le secrétaire d'Etat au Trésor, Henry Morgenthau, commande l'année suivante à Disney un autre court métrage : The Spirit of 43'. Donald Duck, venant de recevoir son salaire hebdomadaire, y rencontre un "bon canard", qui l'incite à être économe pour être sûr de pouvoir payer ses impôts en intégralité et à temps, et un "mauvais canard", qui l'enjoint à tout dépenser sans se préoccuper du paiement de ses impôts. Ce dernier se révèle être un agent d'Hitler. Le message est clair : gaspiller son argent, c'est oeuvrer contre les intérêts des Etats-Unis, c'est travailler pour Hitler. A l'inverse, payer ses impôts, c'est contribuer à la guerre.

The Spirit of 43'

D'autres films antinazies visent à encourager l'achat d'emprunts de guerre. Le plus célèbre d'entre eux est Der Fuehrer's Face (1943) qui a obtenu un oscar. Il met en scène Donald qui rêve qu'il se retrouve en Allemagne nazie et en devient fou. Puis il se réveille en Amérique et embrasse la statue de la Liberté.

Der Fuehrer's Face

La même année, Disney produit Education for Death, qui dénonce l'embrigadement de la jeunesse dans l'Allemagne nazie et Reason and Emotion, qui cherche à encourager les Américains à en appeler à la raison face à la propagande nazie reposant sur l'émotion. En 1943, la propagande de guerre représente 94% de la production des studios Disney.

Education for Death

Reason and Emotion


En 1975, Ariel Dorfman et Armand Mattelart publient ainsi l'édition anglaise de leur livre chilien : How to Read Donald Duck. Imperialist Ideology in the Disney Comic. Ils y dénoncent la présentation stéréotypée des pays étrangers visités par Picsou, Donald Duck et les trois neveux de ce dernier, Riri, Fifi et Loulou. Il est certain que le personnage de Picsou incarne à merveille l'archétype du self-made-man produit par le capitalisme américain.

En France, les dessins animés et les bandes dessinées américaines sont concurrencées par pendant toute la guerre froide par les magazines de BD émanant du Parti communiste : Vaillant (1945-1969) et Pif Gadget (1969-1993), dont les héros ont en commun de faire le bien et de combattre les injustices.

Coopération entre Hollywood et le Pentagone

Le Pentagone montre un intérêt non dissimulé pour les productions hollywoodiennes. Dans le cas Top Gun (1986), le Pentagone a mis à disposition des moyens colossaux dans le but de promouvoir le recrutement d'aviateurs pour la Navy.

Cette collaboration connaît son âge d'or depuis le 11 septembre 2001 et la mise en oeuvre, à l'initiative d'un proche conseiller de George W. Bush, Karl Rove, d'une "nouvelle politique transfictionnelle, le storytelling de guerre" (formule empruntée à Christian Salmon dans Storytelling (2008)).

Le vice président Dick Cheney et le secrétaire d'Etat à la Défense Donald Rumsfeld sont présents en 2002 à la première du film de Ridley ScottLa chute du Faucon noir, et le film Nous étions soldats de Randall Wallace avec Mel Gibson en acteur principal est présenté à George W. Bush en projection privée. Ces films évoquent respectivement une intervention américaine à Mogadiscio en 1993 visant à capturer le chef d'une milice, et la bataille de Ia Drang au Vietnam en 1965. Ils reposent sur la même trame narrative : des soldats américains mis en sérieuses difficultés par un ennemi redoutable et supérieur en nombre combattent avec héroïsme et viennent à bout de l'adversaire grâce à leur supériorité technologique.

Les studios hollywoodiens aident également à la réalisation de jeux vidéo d'entraînement militaire ou de recrutement. En outre, les récits et l'esthétique de jeux comme Medal of Honor (1999), Battlefield (2002), Call of Duty (2003).

Les images de la guerre contre le terrorisme

Depuis 2001, l'imaginaire hollywoodien s'est enrichi de la figure terroriste. Deux mois après le 11 septembre est diffusé le premier épisode de la série télévisée la plus emblématique de ce nouvel imaginaire, 24 Heures chrono, qui aborde notamment le risque de voir les terroristes employer une "bombe salle", nucléaire ou bactériologique. La mise en scène y est particulièrement dynamique, rythmée d'une urgence permanente et un usage normalisé de la torture par le personnage principal de la série, Jack Bauer. Cette série pose la question de la légitimité de l'usage de la torture. En atteste le fait que le juge à la Cour suprême Antonin Scalia, lors d'un colloque de juristes en 2007, a justifié l'usage de la torture en se fondant sur l'exemple de Jack Bauer dans la saison 2 de 24 Heures chrono. La jurisprudence Jack Bauer conduit ainsi au triomphe des préjugés moraux les plus élémentaires.

L'influence du cinéma dépasse de très loin la question de la guerre. L'une de ses fonctions les plus fondamentales est de favoriser une propagande sociologique reposant sur l'acceptation du monde tel qu'il est plutôt que sur la volonté de le changer. En illustre le happy end qui clos de nombreux film d'action ou catastrophe. Celui-ci ne traduit rien d'autre qu'un retour à la normal, à une situation ancienne, sous-entendu à la tranquillité du quotidien. Dès lors, ce retour est une manière de légitimer le monde dans lequel on vit en le rendant hautement désirable (puisqu'il est menacé). C'est une manière d'affirmer que le monde existant est le meilleur ou le plus désirable. C'est ainsi qu'Hollywood détient le pouvoir d'influencer l'identification à certains modes de vie.

Dans tous les cas, à toutes les époques et dans tous les univers, réels ou fictifs, l'effort de guerre nécessite votre participation...